Lionel Jospin de retour... à la télévision. Pour la première fois depuis son retrait en 2002, l'ancien Premier ministre s'est adressé hier soir, en prime time, aux Français. Objectif de cette intervention, à un mois du référendum sur la Constitution européenne : «Etre utile» au oui malmené dans les sondages. Lionel Jospin s'est donc essentiellement consacré à «l'enjeu majeur» du 29 mai. Le non serait synonyme «d'une France qui s'isole», a-t-il plaidé (lire ci-contre). Un message surtout destiné à l'électeur socialiste, la droite faisant presque le plein de ses oui. «S'il y a une logique du non antieuropéen, il n'y a pas de cohérence du non proeuropéen», a donc estimé hier Jospin, visant implicitement le non qui se veut proeuropéen de ses camarades Fabius-Emmanuelli-Mélenchon.

Trois ans après le 21 avril 2002, son intervention nourrit bien sûr les spéculations sur son retour au premier plan. Un sondage CSA (1) publié dans Le Parisien d'hier indique que si 41 % des Français ne le souhaitent pas, 62 % des sympathisants socialistes, en revanche, envisagent cette éventualité favorablement. Lionel Jospin alimente lui-même cette perspective, notamment lorsqu'il a prononcé samedi un discours fracassant à la Bibliothèque nationale lors du colloque sur le centenaire du PS. En tançant les tenants du non socialiste qui font campagne, il a renvoyé François Hollande au rôle de quasi porte-parole du parti. Hier soir, sur France 2, il n'a d'ailleurs pas cité une seule fois le nom du premier secrétaire. Il s'est contenté d'indiquer ne vouloir jouer «aucun rôle particulier» d'ici à 2007. «Je veux pouvoir dire ce que je crois juste dans certaines circonstances. Pour le reste, je veux aider les socialistes.» Et contribuer au «rassemblement» de la gauche. Autrement, rien de nouveau dans l'expression assumée (lire ci-contre), si ce n'est cette incontestable présence crescendo d'un Jospin qui sera aussi le 19 mai en meeting à Nantes.

Cette omniprésence est-elle annonciatrice d'un véritable retour ? La menace qui pèse sur le oui au référendum, l'absence de leadership au PS, dont Laurent Fabius espère profiter après le 29 mai, la résurgence de la pression exercée par l'extrême gauche : tout concourt à renforcer l'hypothèse du recours. Pour son ex-porte-parole à Matignon, Manuel Valls (député de l'Essonne), c'est «le paysage politique qui est jospinien» car «Jospin est l'homme idéal pour tenir les quatre coins du tableau politique. Il a une autorité naturelle ; il sait agir sur les rapports de force à gauche ; il est le mieux placé pour expliquer que voter oui, ce n'est pas voter Chirac ; enfin, sur l'Europe, il peut toucher les Français pas enthousiastes en incarnant un oui réaliste».

Jospin, l'homme de la synthèse ? Puisque personne ne l'imagine revenir pour s'installer dans le bureau de Hollande, c'est la question d'une nouvelle candidature élyséenne qui se pose. Un socialiste s'amuse : «Hier, sur France 2, c'était un peu "Jospin, le Président auquel vous avez échappé".» Depuis trois ans, l'intéressé répète qu'il n'est «candidat à rien». Ses proches démentent que l'ancien locataire de Matignon ait réactivé ses réseaux. L'une de ses fidèles, sa chargée de communication de longue date, Marie-France Lavarini, est pourtant réapparue au colloque sur le centenaire du PS du week-end dernier. Et Jospin continue de voir beaucoup de monde. Certains socialistes l'abreuvent de notes. «Il a tout ce qu'il faut sans passer un coup de fil. Il reçoit tout», dit l'un d'eux. Il écoute tout ou presque. Jospin écrit aussi. Mais a-t-il vraiment pour projet de publier un livre ? Deux de ses interlocuteurs en doutent. «J'écris trop lentement pour être prêt», aurait-il confié. Enfin, Daniel Vaillant, l'un de ses fidèles, assure que Lionel Jospin «ne consacrera pas beaucoup de temps au projet socialiste pour 2007».

Ainsi va Jospin, dans une permanente dénégation d'un retour qu'il donne le sentiment d'orchestrer. Un retour auquel aucun présidentiable PS dit croire. Mais que tous intègrent comme possible. «Le temps du recours est arrivé sans qu'il ait pris sa décision de revenir, résume un parlementaire. Samedi par exemple, Lionel Jospin n'a pas dit qu'il revenait. Il a simplement démontré qu'il était le meilleur. Pour le retour, on verra, mais son message, c'est que de toute façon, c'est lui qui décidera.» Un dirigeant analyse «le discours de combat» de Jospin à l'égard des partisans du non comme un indice de son retour : «Il sait qu'il y aura un combat après le 29 mai.» Contre son inévitable rival depuis près de vingt ans, Laurent Fabius?