Islamabad - Premier sur la liste des "terroristes les plus importants" établie par les services pakistanais, Abou Faraj Al-Libi a été arrêté, lundi 2 mai, à Shadan Baba, près de Mardan, à 50 km au nord de Peshawar, capitale de la province frontalière de l'Afghanistan. "C'est un jour très important pour nous" , a affirmé le ministre pakistanais de l'information, Cheikh Rachid Ahmed, en annonçant, mercredi 4 mai, la nouvelle.

Abou Faraj Al-Libi a été arrêté avec une autre personne, dont l'identité demeure inconnue, à la suite d'une brève course-poursuite et d'un échange de tirs avec les forces de sécurité pakistanaises. Mais, comme pour tous les précédents hauts responsables d'Al-Qaida interpellés au Pakistan, son arrestation fait suite à une intervention des services de renseignement américains.

Bien que ne figurant pas sur la liste des 22 suspects les plus recherchés par le FBI (Bureau fédéral d'enquêtes) américain, Al-Libi était recherché par les Etats-Unis, qui avaient offert une prime de 5 millions de dollars pour sa capture. Al-Libi avait d'autre part été accusé par le président pakistanais, le général Pervez Musharraf, d'être le planificateur des deux attentats perpétrés contre lui en décembre 2003. Le Pakistan avait offert une prime de 20 millions de roupies (285 000 euros) pour son arrestation.

La montée en puissance d'Al-Libi dans la hiérarchie d'Al-Qaida est ­ semble-t-il ­ consécutive à l'arrestation de son mentor et chef, Khaled Cheikh Mohammed, en mars 2003 à Rawalpindi. Discret, de petite taille et souffrant d'une maladie de peau qui lui laisse des plaques blanches sur le visage, Al-Libi, âgé d'environ 40 ans, était devenu, selon certaines sources, le coordinateur principal d'Al-Qaida. Il serait l'homme qui envoyait des messages codés aux cellules dormantes d'Al-Qaida aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, en Asie de l'Est, à travers l'informaticien pakistanais Mohammed Naïm Nour Khan, arrêté en juillet 2004. Des photos de l'aéroport d'Heathrow, à Londres, avaient été trouvées dans l'ordinateur de ce dernier. Le décryptage de certains des messages implique directement Al-Libi dans des échanges d'informations sur la préparation d'actes terroristes avant les élections américaines (en novembre 2004) et en Grande-Bretagne.

Après la défaite des talibans en Afghanistan, fin 2001, Al-Libi, comme un grand nombre de cadres d'Al-Qaida, serait venu s'installer au Pakistan, pays qu'il connaissait depuis les années du "djihad" (guerre sainte) contre les Soviétiques en Afghanistan. Il parle couramment l'ourdou, a épousé une Pakistanaise et se mêle aisément à la population. Les officiels pakistanais avouent toutefois n'être pas sûrs de son nom, qui signifie "père de Faraj de Libye" car, comme tous les cadres d'Al-Qaida, Al-Libi opérait sous diverses identités comme "Dr Ibrahim" ou "Dr Tewfik" , ni de son origine.

Au côté de son maître, Khaled Cheikh Mohammed, Al-Libi opère d'abord à partir de Karachi, mégapole de 14 millions d'habitants qui abrite nombre de militants d'Al-Qaida. Il se serait rendu ensuite dans la zone tribale du Sud-Waziristan où, selon les enquêteurs pakistanais, il aurait reçu à plusieurs reprises des militants venus notamment de Grande-Bretagne. Les opérations militaires de l'armée pakistanaise dans cette zone, pendant toute l'année 2004, l'ont peut-être contraint à un nouvel exil vers Mardan.

Selon les services de renseignement pakistanais, Al-Libi est l'un des très rares militants d'Al-Qaida qui pourraient savoir où se trouvent le chef du réseau, Oussama Ben Laden, et son numéro deux, l'Egyptien Ayman Al-Zawahiri. Al-Libi est en tout cas le premier haut responsable d'Al-Qaida à être arrêté près de la frontière afghane et dans une zone reculée. Tous les autres responsables ont été appréhendés dans des villes. Interrogé à ce sujet, le ministre de l'intérieur pakistanais, Aftab Ahmed Sherpao, s'est refusé à toute spéculation, se contentant d'affirmer : "Je ne peux pas dire si l'arrestation d'Abou Faraj -Al-Libi- nous conduira à celle des deux chefs." Les services de renseignement pakistanais ont perdu la trace d'Oussama Ben Laden il y a "peut-être huit ou dix mois" , avait affirmé, en mars, dans un entretien à la BBC, le général Musharraf.

Les enquêteurs pakistanais qui interrogent Al-Libi vont tenter d'éclaircir tous les tenants et aboutissants des attentats contre le président Musharraf, pour lesquels des militaires ont été arrêtés. Al-Libi était proche du Pakistanais Amjad Farooqi, deuxième principal suspect dans ces attentats, tué en septembre 2004 après un échange de coups de feu avec les forces de sécurité. Il avait, semble-t-il, aussi résidé avec le Tanzanien Ahmed Khalfan Ghailani, arrêté à Gujrat, au Pendjab, en août 2004.

Comme ce dernier, dont la spécialité était les faux passeports, Al-Libi avait utilisé ses talents pour, d'abord, transférer les fidèles de Ben Laden du Soudan en Afghanistan, en 1996, puis en 2001 pour permettre à de nombreux militants de quitter l'Afghanistan puis le Pakistan. Al-Libi travaillait au Pakistan en s'appuyant sur les groupes extrémistes locaux dont les militants prêtent ponctuellement main-forte à Al-Qaida. Cette arrestation souligne une nouvelle fois la présence des cadres d'Al-Qaida au Pakistan, qui a livré, depuis 2001, près de 700 militants aux Etats-Unis. Interrogé au Pakistan où il risque la peine de mort, Abou Faraj Al-Libi pourrait ensuite être remis aux forces américaines, qui gardent dans le secret et le vide juridique les principaux responsables d'Al-Qaida arrêtés.